À partir du XIIIe siècle, les populations alpines reprennent peu à peu aux seigneurs le contrôle des ressources naturelles. Forêts, alpages, cours d’eau, deviennent ce que l’on nomme alors des communia, cest-à-dire des biens communs qu’il revient aux communautés de paroisse de gérer. À cette fin, ces mêmes communautés chargent des commissions restreintes de préparer et faire adopter des règlements appelés aussi « bans ». Les plus anciens dans les Alpes françaises se trouvent dans les Alpes de Haute-Provence et le Briançonnais. Pour la Savoie, le plus ancien règlement conservé est celui de la communauté des Allues, en Tarentaise, qui date de 1390. Ces règlements communautaires de la fin du Moyen âge et du XVIe siècle parlent de la protection des bois, de la divagation des troupeaux, de la gestion des canaux d’irrigation (là où l’irrigation des pratiquée). Les alpages et les pâturages en général sont évoqués, comme c’est le cas aux Allues (ne pas endommager les chésières ou fruitières sauf à devoir les réparer), mais ne constituent pas le thème principal, le plus grand nombre d’article étant dévolu aux bois. Plus tard, aux XVIIe et XVIIIe siècles, on trouve des règlements portant spécifiquement sur l’usage de pâturages, qu’il s’agisse des alpages proprement dits, des pâturages de mi-versant ou de fond de vallée, ou encore des pistes ou «drailles» qui y conduisent. Pour la Savoie, le plus ancien est celui de la communauté de Montdenis, en Maurienne, conservé aux archives départementales de la Savoie sous la côte dépôt 29, E233, liasse 3. Daté du 11 août 1584, le document consiste en cinq feuillets de papier rédigés, non pas en Latin (depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts promulguée en 1539 par le roi François Ier, alors que la Savoie est sous occupation française), ni en dialecte franco-provençal, mais dans un français très approximatif, émaillé de quelques termes patois.
Ce jour-là, à Saint-Julien, Pierre Borjon et Jehan Burguieau, les deux syndics « modernes », c’est-à-dire élus pour l’année afin de représenter la communauté de Montdenis, accompagnés par quatre conseillers de la même paroisse, eux aussi désigné par l’assemblée des chefs de famille, comparaissent devant le lieutenant du châtelain ducal de Maurienne. Il s’agit de soumettre à son approbation, comme c’est l’usage, le nouveau règlement ou « bamp » et d’obtenir sa promulgation. Le dispositif de compose de six articles qui consistent en autant d’interdictions suivies des amendes prévues pour les contrevenants.
On établit en premier lieu qu’aucune bête ne peut être mise à pâturer dans les prés des Planes ou ailleurs dans la paroisse au-dessous du rocher de la Tovière, avant la fête de Notre-Dame de septembre, soit le 8 du même mois, c’est-à-dire, sans doute, avant la seconde fauchaison de ces même prés. Tout infraction sera puis par une amende d’un florin par troupeau pour la communauté, plus un sou au champier, c’est-à-dire le garde champêtre chargé de surveiller le territoire et faire appliquer le règlement, la moitié devant revenir à son adjoint.
Il est ensuite rappeler de façon indirecte que le bétail inalpe ordinairement entre la saint Jean (24 juin) et la saint Michel (29 septembre) sur le vaste territoire compris entre le village de la Tovière, la grande Biesse et le Plan du Cuyr. Il faut cependant en exclure les veaux, les animaux malades et les bœufs de labour, ces derniers étant presque toujours confinés dans « le plan », c’est-à-dire à l’étage des cultures et des habitations. Tout infraction entraine une amende de deux sous par bête et par jour, la moitié de la somme allant au champier, le reste sans doute à la communauté.
Entre la fête de Notre-Dame de mai (la Visitation, le 31 du mois) et la Saint-Michel, personne de pourra faire paître ses bêtes dans ses propres « champs », à l’exception des bêtes de bâts, c’est-à-dire des chevaux, mules et mulets. Peut-être par champ faut-il comprendre ici ses propres prés, tant l’exclusion des animaux des emblavures avant et pendant les moissons paraît évidente. La peine est la même que précédemment.
Il est également interdit de mener ses bêtes, sauf les bœufs, même attelées, par les sentiers escarpés (vieues saiglières) de la paroisse. Même peine que précédemment.
Personne n’est autorisé à faucher les prés de la confrérie du Saint-Esprit, au lieu-dit la Grande Seytive, avant la fête de Notre-Dame de septembre, soit le 8 de ce mois sous peine d’une amende de de deux florins par jour de fauche. La confrérie du Saint-Esprit est une institution importante dans les communautés de montagne. Elle possède souvent un patrimoine important alimenter par des legs, notamment des prés et mêmes des parts de montagne. La fauche de ces prés était concédée à des particuliers moyennant une redevance afin d’abonder les caisses de la confrérie, celle-ci servant à fiancer le banquet annuel et la distribution de vivres qui avait lieu traditionnellement le jour de la Pentecôte.
Enfin, dernier article, personne ne doit introduire de bêtes étrangères à la paroisse sur le territoire de celle-ci, sous peine de trois sous d’amende. La mesure est toutefois limitée aux six prochaines années. Une interdiction classique en ces temps où l’on craint le surpâturage et la dégradation des bois. Elle n’est pas toutefois pas générale en Savoie tant s’en faut. Ce qui est ici visé, c’est l’institution de la commande, c’est-à-dire la prise en pension pour l’été d’animaux appartenant à des éleveurs extérieurs à la paroisse ; une pratique pourtant tolérée ailleurs, tout au plus limité. Ainsi à Bessans, la révsion des anciennes coutues réalisées en 1567 proclame que «que nul de Bessans ne puisse fere conduyre estrangers betails par les pasturages a plus de troys vaches, trente brebis ou en equipolence et que celles que se amèneront despouys la feste des Roys seront comptéds au nombre».
Une fois approuvé, le règlement est publié à Montdenis, par le métral de Saint-Julien, c’est-à-dire le subordonné local du châtelain, en présence du notaire ayant rédigé l’acte, me Pierre Pupet, ainsi que d’un témoin. On ne sait comment est faite la publicité, par affichage du texte, par « cri », c’est-à-dire promulgation orale, ou plus probablement suivant les deux méthodes.
Bamp
Du onzième d’ost mil cinq cent huictante quatre, ont compareu par devant nous, Jehan Julien de Pupet, lieutenant du seigneur chastellain de Maurienne au lieu de Saint-Julien et Montdenis et honeste Pierre Borjon et Jehan Burguieau, modernes syndicz de Montdenis … honeste Estienne Jullien, Jehan Chastes, Pierre Borjon, feu Jehan et Georges Eystaz, conseillers de ladicte communauté de Montdenis, lesquels conseillers [folio 1 v°] durablement ont requis le bamp estre mys et entretenu en et sur tous leurs prés des plannes et tous aultres desdictz de Montdenis que personne ny mette pasturer aulcunes bestes avant la feste Notre-Dame de septembre mesme de le Rochaix de la Thoviere en sus, tendant au soubz de eussel et les partys, à payne d’ung florin, savoir pour chacung troupeau et un soult au champier aplicable par moitié à son accesseur et moytié à ladcite communaulté.
Idem, que personne ne puisse [folio 2] faire aucun bestial l’esté de la Thoviere au Bue tendant au Cuyr et à la Cosche santz en réserver les veaulx et bestes malades et beste de labour, de la feste Sant-Jehan-Baptiste jusque à la feste Saint-Michel, à peyne de deux soulz pour chascune beste et chascun jour et deux quartz au champier.
Idem, que personne ne puisse mettre aulcun bestal fore les bestes a bast chacung sur soy par les champs [folio 2 v°] de Nostre-Dame de maie jusques à le feste Saint-Michel, à peyne de deux soulz pour chascune beste et chascun jour applicable comme dessus et deux quartz au champier.
Idem, de ne mener aulcune beste, sauves bochaulx par la vieue saiglieres dicte paroisse memes aucung appleyet, à peyne pour chascun et chascune journée, de deux deux soulz, applicable comme dessus.
Idem, que personne n’alhie faulcher à la grande Seytive jusque à la feste Notre-Dame de [folio 3] septembre sur les prés de la confrérie du Sainct-Esprit dudit lieu, à peyne contre ung chascung contrevenant et pour chascune journée d’ung florin, savoir applicable comme dessus.
Idem, que personne ne puisse amener aucun bestal en ladicte paroisse de Montdenis estrangière et que en soyt tennu à peyne contre ung chacung contrevenant et pour une chacune journée de trois soulz fortz applicable comme dessus et ce, pour le [folio 3 V°] temps et expace de six années prochaines venues.
ET requerantz de tout ce dessus estre leur octroyé et estee publié ausdits lieu de Montdenis, lieu et heure de ce fera accoustumé en aultre lieux où bon leur semblera [folio 4] et ordonne qu’il sera publié audit lieu au jour, lieu et heure de ce jour accoustumé par le premier sergent sur ce requis et aultres lieux qu’il appartiendra.
Donné audit lieu de Montdenis, ledit an et jour que dessus.
Dudit jour
Guillaume Morard, mestral de Sainct-Julien et Mondenis, a apporté à moi, curial, sous nommé, avoir publié ce jour d’huy, en lieu et heure de ce fère [folio 4] accoustumé, au lieu de Montdenis et le présent bamp à requeste des impétrans d’icelluy auquel personne ne s’est opposé, de laquelle publication les scindicz dudit lieu en ont reçus ce présent acte, en présence de me Pierre de Pupet, notaire ducal, et de Jehan Bexa, de Saint-Martin-la-Porte, tesmoings ladicte publication assistans aussy qu’il a rapporté.
Avec le concours du mécénat de