La figure du berger qui se consacre à ses brebis et fournit nourriture et vêtements aux hommes imprègne nos religions, notre littérature, notre art. Le vieux mythe du bon berger est toujours vivace mais, au fil des siècles, les pratiques pastorales n’ont jamais cessé de changer. Métier du vivant par excellence, loin d’être figé dans une tradition immobile, le métier de berger s’est toujours renouvelé sans jamais renoncer aux valeurs qui le sous-tendent. Personnage des confins géographiques et des marges sociales, le berger d’alpage a également beaucoup changé ; il est aujourd’hui l’un des acteurs clés des territoires pastoraux de plus en plus fréquentés par d’autres usagers que les éleveurs et leurs troupeaux.
Extrait du Manuel des bergers d’alpage, coédité par l’association ASPIR, l’association des bergères et bergers des Alpes du sud et de Provence et la Maison du berger, 248 p., 2017.
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Berger, un vieux métier toujours vert
Une longue histoire
Figure mythique, le berger l’est par son honorable ancienneté : il est un des acteurs essentiels d’une aventure qui a débuté voilà 11 000 ans au Moyen Orient entre le Jourdain et l’Euphrate. Cette aventure est née d’une « révolution » qui, en quelques milliers d’années, a transformé de fond en comble les sociétés humaines : la domestication des plantes et des animaux qui marque le début du Néolithique. Un bouleversement qui marquera les grandes religions, les économies et les paysages du bassin méditerranéen. Cette (r)évolution a laissé des traces bien vivantes jusqu’à nos jours.
Dans les Alpes, la révolution néolithique commence il y a 8 000 ans. Les colons romains de la Provence ont ensuite investi la plaine de Crau où ils ont construit de longues bergeries pour abriter les brebis à laine fine ; on ignore si leurs bergers et troupeaux transhumaient déjà vers les Alpes. C’est au Moyen-Âge, période de faste économique et de relative stabilité politique, que se développent les grands mouvements de troupeaux, des Alpes vers les plaines du littoral méditerranéen, puis de la Provence vers les Alpes. Notre vocabulaire s’enrichit à cette époque des mots « capital » (du latin « caput » dont dérive aussi « cheptel ») et « transhumance » (du latin trans – au-delà – et humus – terre, pays). Depuis, les Alpes vivent immuablement au rythme saisonnier des transhumances lorsque le bétail monte à la fin du printemps vers les montagnes pour y passer l’été, puis redescend à l’automne vers les plaines pour agneler et passer l’hiver en bergerie ou en plein air dans les collines et les plaines plus clémentes. Avant de recommencer le cycle.
Une communauté universelle
La trilogie pastorale, homme-herbe-animal, caractérise l’enchevêtrement subtil et flexible des activités de l’homme et de ses troupeaux en mouvement constant à la recherche de pâturages. Elle est le socle d’un système agropastoral* complexe adapté à la particularité de chaque contexte géographique, biologique, économique et social. Une sorte de pacte entre l’homme et son milieu dont le premier but est de nourrir et vêtir les communautés humaines et qui contribue à façonner territoires, cultures et rapports au monde. Un pacte universel qui se rencontre un peu partout sur la planète.
Il y a aujourd’hui près de 200 millions de pasteurs et bergers sur notre planète et 25 % des terres émergées sont encore couvertes par ces systèmes d’élevage extensifs. Dans certains pays tels que la Somalie ou la Mauritanie, ceux-ci représentent toujours l’activité majoritaire du pays. Bergères, bergers, troupeaux, chiens, s’ils sont des éléments importants d’un système pastoral local, sont aussi les membres d’une communauté pastorale sans frontières, nombreuse et dynamique, vivant de l’élevage extensif le plus souvent sur des parcours collectifs.
Au fil des siècles, les communautés pastorales ont forgé une expérience et un savoir uniques sur la manière de maintenir un équilibre subtil entre des ressources fondamentales – l’herbe et l’eau – qu’elles savent valoriser durablement par des activités productives. Ces sociétés ont appris d’expérience qu’elles dépendent de la bonne santé du milieu qu’elles partagent avec leurs animaux. Au fil des siècles, les pasteurs ont acquis des capacités de mutations techniques, sociales et culturelles qui, jusqu’à ce jour, leur assurent une bonne résilience face aux changements techniques, économiques, climatiques et sociétaux.
Partout sur la planète, les pasteurs et leurs cultures sont cependant menacés selon les lieux par l’érosion de la biodiversité, les changements climatiques, la croissance démographique, la concentration urbaine, le libéralisme économique et les vicissitudes de la géopolitique. Face à ces menaces, le monde pastoral a toujours fait preuve de bonnes capacités d’adaptation et n’a sans doute pas fini de nous étonner ! Encore faut-il ne pas trop « charger la mule » car ses capacités de résilience et de résistance ont aussi leurs limites !
Une idée simple
L’idée qui fonde l’alpage est simple : pour libérer les terres de culture et les ressources fourragères en plaine, et des bras pour les récoltes, il faut confier les animaux à des bergers spécialisés qui veilleront à les nourrir ailleurs pendant l’été, là où l’herbe est plus verte. C’est l’invention de la transhumance saisonnière, petite et grande. Progressivement développée dans les Alpes depuis le XIIe siècle, cette pratique permet d’utiliser au mieux les principales ressources des écosystèmes échelonnés aux diverses altitudes parcourues par le troupeau au fil des saisons. On prétend d’ailleurs que c’est le mot « alpages » qui a donné son nom aux Alpes, et non l’inverse. En dehors des Alpes, on parle plutôt d’estives pour désigner les pâturages d’altitude.
L’alpage et la transhumance sont constitutifs de l’économie alpestre et de la culture alpine. Mais le profane oublie souvent que le séjour du troupeau en alpage ne concerne qu’une partie du cycle de vie et de production des systèmes d’élevage ovin. Il y a une vie avant et après l’alpage, lorsque les animaux sont sur l’exploitation agricole des éleveurs située en plaine ou dans la vallée. Le système transhumant utilise l’alpage comme une étape, un élément d’un système agropastoral complexe qui combine les ressources fourragères de plusieurs terroirs.
Prairie naturelle / prairie permanente
Dans des Alpes, sans l’action humaine, les zones herbacées n’existeraient qu’aux altitudes élevées de l’étage alpin (au-dessus de 2 000 à 2 200 m), que sur les crêtes ventées, qu’à la faveur de trouées dans le manteau forestier dues à des avalanches ou des éboulis et, enfin, que dans des stations spécialisées. En fait, dans les Alpes, la surface fourragère est surtout constituée de prairies artificielles qui n’existent qu’en raison de déboisements anciens et d’entretiens séculaires du milieu herbacé par le pastoralisme ou la fauche. Techniquement, il s’agit de prairies permanentes dont les espèces ont été sélectionnées par les coupes répétées.
L’alpage comprend un territoire avec son relief, des ressources herbagères, un ou des troupeaux et des bergers avec leurs logiques et leurs habitudes. L’ensemble territoire-troupeau-végétation-bergers constitue un système caractérisé par des interactions, des entrées et des sorties. On doit donc considérer l’alpage comme un tout à gérer globalement, aussi bien en matière de production agricole que de biodiversité ou de patrimoine paysager.
Jean-Marcel Dorioz, Inra. Alpages, prairies et pâturages d’altitude, Courrier de l’environnement de l’Inra n°35, novembre 1998
L’alpage, de quoi parle-t-on ?
L’alpage est une portion de territoire toujours en herbe exploitée par pâturage extensif. Elle présente une unité géographique d’au moins 10 hectares et est soumise à une unité de gestion. Son utilisation pastorale est limitée à la période estivale et s’effectue généralement sans retour journalier des animaux au siège de l’exploitation. On distingue les unités d’altitude de celles d’altitude moyenne. Les premières sont situées au-dessus de l’habitat permanent et sont utilisées de juin à septembre, durant une période qui avoisine 120 jours. Les secondes sont situées au même niveau que l’habitat permanent et sont utilisées sur une plus longue période, de mai à octobre.
Patrick Landrot, L’alpage, une tradition vivante et modernisée, 1999.
Un mythe vivace
Le mythe du « bon berger » est vivace. Cette figure de la religion chrétienne et des romans paysans a durablement marqué notre imaginaire. Notre société urbaine fantasme encore sur les bergers et voit en eux l’incarnation d’une certaine sagesse… à laquelle le monde moderne aurait tourné le dos. Si rien n’interdit aux bergers d’être des sages, ils sont surtout des acteurs d’un système d’élevage qui ne s’arrête pas aux limites de l’alpage. Comme tout un chacun, ils vivent dans un monde qui évolue sans cesse et, bien que perchés sur leur alpage trois ou quatre mois par an, ils participent, bon gré, mal gré, aux grands mouvements de nos sociétés contemporaines. Ils sont, par exemple, confrontés à la sacralisation de la nature sauvage ainsi qu’au multiusage des alpages partagés entre chasse, protection de l’eau, valorisation des forêts, exploitation touristique d’été et d’hiver. Les bergers d’alpage sont de moins en moins isolés et ils doivent composer avec des acteurs de plus en plus nombreux qui mettent parfois à rude épreuve leur proverbiale sérénité.
Une (r)évolution permanente
« Si autrefois l’herbe était la ressource convoitée que se disputaient les éleveurs de tout lieu et de toute culture, aujourd’hui, c’est la “force de tonte” des troupeaux qui est devenue la denrée rare… », affirmaient en 1994 les ingénieurs pastoralistes Pierre Lachenal et Yves Raffin, artisans du renouveau des alpages dans les Alpes du Nord. Les temps ont bien changé depuis la fin du XIXe siècle où le pastoralisme était dénoncé comme responsable de tous les maux (éboulements, érosion, glissements de terrain…) du fait du surpâturage. La désertification des montagnes et l’exode vers les villes ont radicalement bouleversé la donne. Au fil des années, la RTM (Restauration des terrains en montagne), puis les services pastoraux ont été missionnés pour accompagner les acteurs pastoraux et diffuser les bonnes pratiques agrosylvopastorales*.
En 1972, la Loi pastorale a institué les groupements pastoraux (GP) pour regrouper les éleveurs qui partagent un même alpage, et les associations foncières pastorales (AFP) qui associent dans une même entité les propriétaires d’un foncier souvent très morcelé. La loi a aussi instauré les conventions pluriannuelles de pâturages mieux adaptées aux réalités de terrain que les baux classiques.
De nos jours, le réchauffement climatique aidant, les pâturages d’altitude sont très convoités, notamment depuis les grandes sécheresses du tournant du millénaire. Mais la réputation de destructeur des milieux montagnards, longtemps attribuée aux « moutonniers », a heureusement fait place à une prise de conscience de leur « durabilité* » en regard, notamment, des excès de la production animale hors sol et des dégâts causés aux alpages par de (trop) nombreux équipements touristiques.
Aujourd’hui, à l’heure où s’impose l’agroécologie*, du moins dans les discours si ce n’est dans les pratiques, on assiste peut-être à un renouveau du pastoralisme s’appuyant sur de nouveaux bergers que leurs formations, leurs convictions et leurs compétences portent à inventer des pratiques écopastorales*.
Un métier renouvelé, mais menacé
Les clichés sont tenaces. Beaucoup ont encore en tête que la plupart des bergers sont des enfants, des idiots du village ou des vieillards… en un mot les plus faibles et les moins doués, qui ne sauraient rien faire d’autre. Il n’en n’est rien ! Ce sont des professionnels qualifiés. Et beaucoup de bergers d’alpage sont des montagnards aguerris. Il est cependant vrai que certains anciens se souviennent de leurs débuts quand, forts d’une dizaine de printemps, ils montaient « au cul du troupeau » avec une miche de pain et un fromage, et passaient la nuit dans une cahute ouverte à tous les vents. C’est ainsi qu’ils ont parfois appris le métier.
Par ailleurs, dans les Alpes françaises, l’immigration a, depuis longtemps, constitué une source de main-d’œuvre extra familiale, peu chère et souvent mal considérée : Piémontais dans les années 1920-1960, Maghrébins ou Roumains ensuite. Ce temps n’est pas révolu.
Cependant, depuis quelques décennies, de nombreux jeunes souvent originaires des villes, filles et garçons, parfois en rupture de bans et souvent diplômés viennent travailler dans les alpages aux côtés des héritiers de la tradition pastorale. Il faut dire, qu’en France du moins, le berger jouit en général d’une bonne considération, ce qui est unique en Europe. Cette exception française tient en partie à l’existence et à la qualité des formations au métier de berger, héritières de l’école de la bergerie de Rambouillet.
Mais, à l’heure de la libéralisation et de la déréglementation généralisée de l’économie, cette exception est bien fragile. Pour certains éleveurs, la tentation est grande d’engager des bergers à moindre coût sans se soucier de leur niveau de compétence et du respect du droit du travail. Dans les années qui viennent, il faudra beaucoup d’énergie aux associations et fédérations de bergers pour continuer à mieux qualifier leur métier et le faire reconnaître à sa juste valeur ; mais sa pérennité est à ce prix.
Les fonctions et métiers pastoraux, divers et complémentaires
Les métiers d’éleveur, de berger, les rôles des responsables d’alpages, des propriétaires fonciers et de leurs représentants sont extrêmement imbriqués et complémentaires. Tous s’impliquent dans le contexte pastoral et les savoir-faire et stratégies que chacun met en œuvre sont d’une importance capitale pour la bonne conduite des unités pastorales. Ils ont la responsabilité de la mise en œuvre pastorale, ils ont des contacts réguliers et privilégiés avec les différents partenaires des systèmes pastoraux.
Malgré la précarité due à leur statut, les bergers font preuve d’un engagement personnel fort. Ils sont l’un des éléments symboliques de l’économie et de la culture montagnarde, peut-être aussi par la mission « d’hospitalité » plus récente qui leur incombe, face aux usages touristiques des espaces montagnards.
Extrait de la plaquette « bergers-vachers, des métiers d’interface, @lpes, mars 2007.
Les bergers, entre pastoralisme et pastoralité
Les territoires pastoraux et leurs enjeux
Il est loin le temps où les alpages n’étaient parcourus que par des vaches et des brebis. Randonneurs, VTTistes, touristes, propriétaires, chasseurs, pêcheurs, forestiers selon la saison, et gestionnaires d’espaces protégés, mais aussi d’équipements touristiques… beaucoup de monde s’intéresse aux alpages et les pratique à sa façon. Les territoires pastoraux sont devenus des espaces de multiusage et les bergers y jouent un rôle déterminant dans la cohabitation de tous leurs usagers. Seuls habitants permanents des alpages pendant l’estive, ils sont des acteurs incontournables de la bonne cohabitation sur ces territoires. En conséquence, ce qui améliore les conditions de vie et la sérénité des bergers bénéficie aux éleveurs mais aussi aux autres usagers des alpages.
Ce que l’on désigne désormais par le multiusage des alpages est une réalité dont nul n’est capable de gérer seul la complexité. La fonction d’« ensemblier » des alpages échoit de plus en plus aux territoires, communes, intercommunalités, parcs nationaux ou naturels… Dans ce nouveau contexte, les bergers d’alpage cherchent à « penser comme un alpage » pour exercer leur métier tout en tenant compte des multiples interactions avec les différents usages de leur alpage. Sans qu’ils en soient toujours conscients, et parfois malgré eux, les bergers contemporains sont souvent investis d’un rôle d’interface entre les hommes, les animaux, leur territoire et la nature.
Tout en veillant en priorité à ce que leurs brebis « fassent leur ventre », ils doivent donc faire preuve de diplomatie pour s’entendre avec leurs voisins ; ils doivent aussi être pédagogues avec les randonneurs et leurs chiens, ou encore écologues pour mettre en œuvre les mesures agro-environnementales. La liste de leurs multiples fonctions s’allonge au risque de dépasser leurs possibilités. Nombre d’entre eux sont également fins connaisseurs de la montagne qu’ils pratiquent en tant qu’accompagnateur, chasseur, skieur, ornithologue, botaniste… Pourtant, malgré les responsabilités qui leurs sont confiées et leurs multiples compétences, ils restent trop souvent écartés de la gestion des enjeux majeurs liés à l’alpage dont ils ont la charge.
Le pastoralisme, fer de lance de l’économie alpestre
Le pastoralisme de montagne est reconnu d’intérêt général par le Code rural. En utilisant des parcours semi-naturels où les brebis se déplacent à l’air libre sur leurs quatre pattes pour « cueillir » une végétation spontanée plutôt que d’attendre à l’abri qu’on leur apporte des fourrages cultivés et des aliments concentrés, parfois importés du bout du monde, les pratiques pastorales se distinguent fortement de l’élevage industriel. Leur impact écologique et leur contribution à l’effet de serre sont modestes et la qualité de leurs productions est reconnue. De plus la valorisation des alpages par le pâturage est compatible, et entre même souvent en synergie, avec d’autres activités comme le tourisme ou la conservation d’espaces naturels protégés.
Au niveau national, le cheptel ovin, qui comptait plus de 9 millions de brebis-mères en 1980, n’en recensait plus que 5,7 millions en 2015. Dans la filière viande, le nombre de brebis allaitantes (productrices d’agneaux) a diminué de 32% depuis l’an 2000. Ce recul de la production ovine en France est notamment la conséquence d’une concession faite il y a quelques décennies à la concurrence britannique et néo-zélandaise. Malgré les aides publiques apportées en compensation aux éleveurs via la Politique agricole commune (PAC), les éleveurs ovins français voient leurs revenus diminuer et les installations de jeunes s’amenuiser. Aujourd’hui, les éleveurs de brebis sont parmi les agriculteurs qui gagnent le moins bien leur vie
En France, 55% des moutons que nous consommons sont importés. Or nous avons beaucoup de terres peu productives que l’élevage ovin permettrait de mieux valoriser. L’activité pastorale pourrait donc se développer.
Reconnu d’intérêt général
Par leur contribution à la production, à l’emploi, à l’entretien des sols, à la protection des paysages, à la gestion et au développement de la biodiversité, l’agriculture, le pastoralisme et la forêt de montagne sont reconnus d’intérêt général comme activités de base de la vie montagnarde et comme gestionnaires centraux de l’espace montagnard.
Article L 113-1 du Code rural.
Le pastoralisme dans les Alpes
L’enquête pastorale de 2014 dénombre 3 143 unités pastorales* dans le massif alpin et précise que les espaces pastoraux y couvrent environ 700 000 ha, soit près du tiers de sa surface. On y compte plusieurs centaines de bergers d’alpage. Le domaine pastoral alpin recouvre environ 700 000 hectares d’alpages et de parcours valorisés par environ 800 000 ovins, 100 000 bovins et quelques milliers de caprins et équins. Le pastoralisme permet de maintenir et de préserver les élevages bovin et ovin et d’entretenir les espaces herbagers. La recherche de la préservation de cet équilibre entre le maintien de l’agriculture, la protection de l’environnement et la fréquentation touristique est un enjeu fondamental pour les montagnes et les Alpes en particulier. La majeure partie de cette activité pastorale est exercée sur les pâturages d’altitude dénommés alpages ou estives. Les deux tiers des surfaces d’alpage appartiennent aux collectivités et le plus souvent aux communes. L’organisation en associations foncières pastorales ou en groupements de propriétaires est fréquente. Le tiers des ovins estivés dans les Alpes transhument depuis la Provence. Les bergers sont nombreux et dans les Hautes-Alpes, par exemple, près de 80 % des ovins sont gardés en permanence. De multiples travaux ont été réalisés pour améliorer les conditions professionnelles des bergers : accès facilité à l’alpage, héliportage du ravitaillement, amélioration du confort des cabanes, dispositif de clôtures et parcs de pâturage, accès à l’eau, équipement de contention et sanitaire… Les alpages sont également un espace naturel fréquenté par les randonneurs et les chasseurs. Les parcs nationaux et naturels régionaux sont des espaces très attractifs particulièrement marqués par l’activité et la culture pastorales.
D’après Agreste et enquête pastorale de 2014.
La pastoralité, une nouvelle dimension
Nouvelle venue dans le vocabulaire pastoral, la pastoralité* se définit comme ce qui fait le caractère, l’essence de ce qui est pastoral. À la différence du terme pastoralisme qui désigne aujourd’hui principalement la dimension technico-économique de l’activité pastorale, le terme pastoralité nommerait, pour ses promoteurs, les dimensions symboliques, sensibles, esthétiques, éthiques et culturelles qui caractérisent les civilisations pastorales. Autant de dimensions fortement présentes dans l’imaginaire collectif, mais aussi dans les valeurs et pratiques des éleveurs et bergers. De nombreux territoires s’en revendiquent, souvent sans la nommer ainsi, pour valoriser leurs productions, mettre en avant leur patrimoine et renforcer leur attractivité. Le succès de la viande des tardons et autres « agneaux de nos alpages », la multiplication des fêtes de la transhumance, des brebis, des berger(e)s et l’engouement pour les randonnées à la rencontre des bergers en témoignent.
Pastoralisme et pastoralité sont deux facettes complémentaires et indissociables des activités et cultures pastorales. Isolée, chacune de ces dimensions est fragile : le pastoralisme se technicise pour tenter de rester dans la course à la performance économique quand la pastoralité se folklorise dans la course à l’attractivité touristique. Pourtant, au même titre que les éleveurs, les bergers d’alpage ne souhaitent, ni être réduits à la seule dimension technico-économique de leur métier, ni finir patrimonialisés* dans des musées, des écomusées ou dans des parcs, fussent-ils naturels, et encore moins être « disneylandisés* » dans des espaces, des événements ou des itinéraires dédiés au tourisme de masse.
L’avenir incertain des bergers
L’avenir des pasteurs, pâtres, bergers et éleveurs est particulièrement incertain. Plusieurs facteurs récents contribuent à cette incertitude parmi lesquels l’évolution de la consommation de viande et les conséquences de la présence des prédateurs.
En effet, la consommation de viande ovine recule régulièrement en France et en Europe. Les Français n’en consomment plus que 3,1 kilos par an et par personne contre 5,4 kg en 1990. La viande a perdu son image d’aliment indispensable à l’équilibre nutritionnel. Le gigot d’agneau a disparu de bien des tables et les méchouis n’ont pas compensé cette perte. Pour des raisons éthiques, nutritionnelles ou financières, de plus en plus de Français, et même nombre de bergers, optent pour un régime plus ou moins végétarien. Les consommateurs de viande sont de plus en plus regardants sur la qualité du produit et sur le bien-être des animaux d’élevage. En la matière, les élevages herbivores et la filière allaitante bénéficient encore d’une image plutôt positive du fait que les animaux pâturent en relative liberté dans des espaces semi-naturels.
Mais les territoires qu’ils pâturent sont ceux-là mêmes dans lesquels les loups ont élu domicile, ce qui nuit gravement au bien-être des brebis, de leurs bergers et de leurs éleveurs. Notre société n’est pas à une contradiction près.
Car les loups, au-delà des brebis qu’ils dévorent et blessent, mettent les troupeaux et les bergers dans un état de stress parfois insupportable. Si ces derniers désertent les alpages, les milieux remarquables qu’ils façonnent et la civilisation qu’ils perpétuent disparaîtront avec eux. Est-ce vraiment ce que l’on souhaite ?
Avec le concours du mécénat de