1. Les sédiments lacustres: lire la vase au fond des lacs pour explorer l’histoire des pâturages
Les sédiments au fond des lacs sont des archives de l’environnement. Ils accumulent de façon chronologique, stratigraphique et continue dans le temps des particules de sols, de roches, de végétaux et d’animaux (Figure 1). Ils enregistrent ainsi année après année, grâce aux apports des rivières, du ruissèlement et du vent, l’histoire de l’environnement et son évolution depuis l’origine du lac. Dans les Alpes, les lacs sont pour la plupart d’origine glaciaire, formés à la suite de la fonte des glaciers du dernier maximum glaciaire, il y 20000 à 12000 ans. Ce sont ainsi autant d’années qui sont potentiellement enregistrées dans la vase de ces lacs.
Pour être étudiés, des carottes de sédiment de plusieurs mètres de long sont prélevés lors d’un carottage (Figure 2), depuis un bateau ou depuis la surface du lac gelée en hiver. Les carottes sont ouvertes et analyses en laboratoire. La composition des sédiments est analysée et les carottes sont datées au carbone 14. Les analyses sédimentologiques et géochimiques permettent d’identifier les sources de sédiments. Le comptage et l’identification des pollens permettent de retracer l’évolution de la végétation. Il est complété par l’analyse ADN des sédiments. Les analyses ADN permettent également de retrouver des traces des animaux domestiques présents sur le bassin versant comme les vaches ou les moutons. Le comptage de spores de champignons coprophiles, se développant sur les bouses de vaches ou les crottes de mouton permettent d’estimer la pression pastorale des troupeaux.
Dans les Alpes, plusieurs lacs ont déjà été étudié sur ce principe, comme le lac du Bourget, le lac d’Annecy ou le lac d’Anterne en Haute Savoie. Dans le cadre de ma thèse, nous avons étudié le lac de La Thuile (875 m) au sud du Massif des Bauges, le lac Verney (2088 m) sur le versant Italien du col du Petit Saint Bernard en Haute Tarentaise, le lac Bénit (1450 m) dans le Massif du Bargy sur les communes de Marnaz et du Mont Saxonnex, et le lac de Gers (1540 m) entre Flaine et Samoëns dans le Haut Giffre (Figure 3). Un dernier lac, le lac d’Arvouin (1660 m) à La Chapelle d’Abondance a commencé à être étudié mais son étude n’est pas encore achevée. Ces lacs ont été choisi selon un gradient altitudinal et pour la présence d’activités agricoles récentes et historique sur leur bassin versant. La synthèse suivante inclue les études réalisées sur le lac d’Anterne (2060 m) et sur le lac de Savine (2440 m, Savoie).
2. Dynamiques d’une colonisation de la montagne pastorale
2.1 Un développement des alpages d’abord en altitude
Avant l’arrivée des hommes et de leurs troupeaux il y a 3000 à 4000 ans, les espaces montagnards sont boisés. Seuls les étages les plus en altitude, au-dessus de la « limite des arbres » sont des pelouses permanentes. Ce sont ces espaces qui seront les premiers à être colonisés par les troupeaux à l’âge du bronze et à l’âge du fer, il y a environ 3000 ans comme au lac d’Anterne (Figures 4 et 5). Les activités se déroulent principalement en plaine et les troupeaux, moutons, vaches, sont montés au pâturage. Le besoin d’espace conduira à leur expansion en déboisant les pentes du haut vers le bas.
2.2 L’Antiquité – Première période conséquente pour les alpages
L’activité pastorale est importante à l’Antiquité avec l’exploitation des espaces subalpins et montagnards (Figure 6). Moutons et vaches sont très présents en altitude, à Savine, Verney et Anterne alors qu’il n’y a pas de trace de mouton à l’étage montagnard au lac de La Thuile. Les étages intermédiaires, au lac Benit et au lac de Gers, semblent par ailleurs encore délaissés à cette période.
2.3 Déprise pastorale
Entre l’époque Romaine et le Moyen âge, les sédiments lacustres enregistrent davantage de pollen d’arbre et moins d’ADN des animaux domestiques (Figures 6 et 7), reflétant un abandon des espaces pastoraux et leur recolonisation par la forêt. Cette période, aussi connues sous le nom de « Dark Age » est relativement mal connue du fait de moindre indices archéologiques et paléoenvironnementaux. Ce pourrait être une période plus froide aussi dénommée LALIA pour Late Antiquity Little Ice Age en anglais en reference au Petit Age Glaciaire (Little Ice Age) de l’époque Moderne (1500-1800). Ce refroidissement est en partie lié à des éruptions volcaniques, notamment au milieu du 6ème siècle contre le montre l’analyse de carottes de glace du Groenland.
2.4 Le Moyen Âge – Reprise et expansion des activités vers les altitudes intermédiaires
Le Moyen Âge apparait comme la période la plus importante pour les pratiques agropastorales dans les Alpes Nord occidentales. Tous les étages sont exploités et les surfaces en herbe étendues aux territoires qui ne l’étaient pas encore comme au lac Bénit (Figure 8). Les activités sont diversifiées : vaches, moutons, et même de l’ADN de chèvres a été retrouvé dans les sédiments du lac de Gers.
2.5 Spécialisation de la filière bovins et disparition des ovins
A la suite du Moyen Âge, les activités semblent perdre un peu en intensité, en lien peut être avec le refroidissement du Petit Age de Glace. A partir du XIème siècle, les analyses ADN montrent un délaissement des moutons au profit des bovins (Figures 7 et 8). La culture Suisse des grands fromages se répand et nécessite d’importante quantité de lait qui explique ce changement de pratique d’élevage et la spécialisation de la filière bovine. Ces grands fromages de type gruyères, qui donneront naissance plus tard à l’Abondance et au Beaufort sont facilement transportables et se conservent longtemps, facilitant les échanges et leur commerce.
3. Pour aller plus loin…
Télécharger la these de Manon Bajard (en Francais et en Anglais)
Un article sur le lac de La Thuile (en Francais)
En vidéo
L’étude de ces lacs a été publié dans plusieurs revues internationales, en Anglais:
Avec le concours du mécénat de